Décoloniser la collection...
La restitution des objets d'art anciens des peuples hier réduits en esclavage et colonisés sera toujours une question sensible, du fait de l’Histoire dont elle est l’héritage.
Héritage encombrant jusqu’au point d’avoir été négligé même par la pensée anticoloniale, qui lui a préféré des thèmes plus consensuels par peur de paraître sectaire et régressive, aveuglée par la mimétique moderne.
Or aujourd’hui, depuis la déclaration du président français Emmanuel Macron à Ouagadougou en octobre dernier, cette question a été propulsée au premier plan de la scène politique et culturelle.
Ce discours, relativement récent, a déjà fait couler beaucoup d’encre, puisqu’il s’engage à restituer les objets d’art anciens pris en Afrique sans l’accord de leurs propriétaires, parfois même après de gigantesques autodafés qui n’ont laissé sur place que des cendres… Depuis qu’il a été prononcé, il a déclenché toute une série de mesures qui tendent à faire penser qu’il sera effectivement suivi de mesures concrètes. L’imminence de ces actes nous appelle à être nous aussi impliqués dans la construction de cette Histoire.
Pourquoi ce discours tant attendu par certains acteurs et spécialistes de la question, mérite-t-il une attention plus grande, celle du public, à une plus grande échelle ?
Parce qu’il est à mon sens urgent d'engager une réflexion publique de fond et d'envergure sur la complexité de cette question de la restitution des objets d’art anciens des cultures colonisées. D’abord parce que nous en sommes tous les descendants directs ou indirects, mais aussi parce que chaque objet est ce qu’il reste d’un membre manquant, celui d’un corps individuel et d’un corps social, qui l’a crée, l’a célébré, l’a craint, l’a aimé… Ce corps manquant, de quelque nature qu’il soit, appellera toujours réparation du traumatisme séparateur…
Le 12 septembre 2018, à La Colonie, se tiendront les premières prises de paroles publiques sur la question de la restitution intitulée : Décoloniser la collection…
Ce colloque-agora sera transversal et transdisciplinaire.
Son but n’est pas de juger et d’incriminer, mais d’éclaircir cette question pour le public des non-experts : militants anticolonialistes, curieux, artistes, amateurs d’art, historiens, etc… Il est destiné à créer un partage de points de vue sur cette question, et lui donner sa dimension historique et politique. Il abordera donc par différents aspects cette histoire très longue des dépossessions, qui n’implique pas seulement l’Afrique, et où les « coupables » ne sont pas toujours là où on s’y attend. L’ignorance de l’importance du patrimoine par les politiques, qui n’ont ni les compétences, ni la connaissance, ni la volonté de la transmission, nous a motivés dans cette initiative… L’Afrique n’étant pas le seul continent qui a souffert des pillages des biens culturels, les débats réuniront aussi des personnes d’autres hémisphères.
La question des milliers d’œuvres archéologiques du musée national d’Irak pillées pendant la guerre du Golf sera aussi débattue ; tout comme la question des frises de l’Acropole que la Grèce réclame à l’Angleterre depuis un siècle.
Ce rendez-vous est une conversation publique qui cherchera à articuler la complexité de la question de la restitution, de la promesse du discours politique à la réalité des moyens et des psychologies et de notre histoire passée et contemporaine.
Comment rendre possible la restitution certes, mais vers qui ces restitutions s'orientent-elles ?
A qui appartiennent réellement les objets d'art anciens d'Afrique et d’ailleurs ? Pourquoi le droit de suite n'est-il pas appliqué dans les ventes d’œuvres d’art dites « d’arts premiers », alors que les descendants directs de leurs auteurs sont encore vivants ?
De quels fantômes ces objets sont-ils le nom ?
La restitution peut-elle combler les blessures induites, par-delà la perte de ces objets, qui continuent de hanter la psyché des cultures dépossédées?
Les collectionneurs africains sont-ils plus légitimes que les occidentaux dans l'acquisition des objets d'arts anciens, lorsqu'ils les ramènent en Afrique ou pas ?
Différents acteurs liés par leur profession, leur passion et leurs compétences sont invités à partager chacun leur vision et leur expérience. Sous forme de conférence, de performance, de danse, de poésie, de lecture, de plaidoirie, de théorie et de pratique, les méthodes de transmission de savoir et d’émotion seront libres afin de rendre à cette question la complexité dont elle est l’enjeu.
Kader Attia
Avec :
Pierre Amrouche, expert spécialiste en art africain, poète et photographe
Kader Attia, artiste
Emmanuelle Cadet, directrice d’Alter Natives
Noranou Correia, participante au groupe Zone de Contact
Philippe Dagen, critique d’art
Clémentine Deliss, conservatrice, éditrice et historienne de la culture
Serge Guézo, prince d’Abomey
Monique Jeudy Ballini et Brigitte Derlon, ethnologues
Olympe Lemut, journaliste
Silvie Memel Kassi, directrice du Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire
Steve Régis Kovo N’Sondé, philosophe
Luc Saucier, avocat
Laura Scemama, muséographe
Zora Snake, performeur
Christine Théodore, psychologue et psychanalyste
Alain Vanier, psychanalyste
Le projet de chaque table ronde comme du reste du colloque n’est pas d’interpréter négativement voir de juger les intentions présidentielles sur la question de la restitution des objets ethnographiques, mais d’oeuvrer à donner à un public plus large que celui des professionnels des clés de réflexion sur ce sujet.